La dépression paternelle

Dépression paternelle et périnatalité

écrit par Daniela Luca et le Dr Monique Bydlowski

Laboratoire de Recherche de la Maternité Port-Royal, Psychopathologie de la Périnatalité, Hôpital Tarnier, 89 rue d’Assas, 75006 Paris

Article paru dans la Revue : Carnet PSY, 2001/7, N°67

 

 

 

Notre recherche sur les états dépressifs du père après la naissance d’un enfant prend son appui clinique et théorique autant sur les connaissances actuelles concernant la psychopathologie paternelle et les relations précoces père-bébé, que sur les données psychanalytiques classiques.

Dans Moïse, Freud indiquait que la paternité « donne le pas à un processus de pensée fait d’hypothèses, de déductions ». L’élaboration, que ce processus suscite, éclaire la clinique. En outre, souvent considérée comme un « événement de vie », produisant un important remaniement psychique, objectal et narcissique, l’accès à la paternité peut prendre une dimension traumatique.

Etat de la question

La logique de cette étude va prendre en compte ce qui est connu de la psychopathologie paternelle, et interroger les points lacunaires de ce champ de recherche.

L’existence d’une intimité psychique entre la paternité et la naissance est reconnue depuis fort longtemps, comme l’atteste la coutume à peu près universelle de la couvade. Selon ce rituel, l’homme, peu après l’accouchement, « imite la mère », il se met au lit, parfois à la diète et reçoit le compliments des voisins.

Ce rituel très répandu a fait l’objet d’interprétations anthropologiques et psychanalytiques (28). Il aurait pour fonction de mettre la jeune mère à l’abri des mouvements agressifs paternels. La couvade aurait aussi pour fondement inconscient le conflit qui existe pour le jeune père entre son propre désir de maternité et l’identification à son père.

Par extension, on a décrit un « syndrome de la couvade » pour caractériser les troubles somatiques qui affectent souvent les jeunes pères pendant la grossesse de leur compagne. Selon Trethovan et Colon (39), leur fréquence serait de 8 à 10 % des sujets examinés. La survenue de ces faits psychosomatiques tiendrait à l’identification féminine marquée de ces nouveaux pères. Leur grande diffusion, leur traduction rituelle, montrent qu’ils n’appartiennent pas à la pathologie.

Les manifestations névrotiques des pères (hystériques, phobiques, obsessionnelles, etc.) sont bien connues, ainsi que les décompensations psychiatriques masculines à l’occasion d’une naissance. Il s’agit soit de bouffée délirante, soit de délire paranoïde survenant au cours de la première année de vie de l’enfant, chez des sujets particulièrement vulnérables ou aux antécédents psychiatriques. Il peut s’agir aussi de certaines psychopathies (violences, alcoolisme, déviances sexuelles, toxicomanies) (10, 40, 45). Un exemple historique est rapporté par J. Laplanche dans son étude sur Hölderlin dont la première étape de la pathologie mentale (la dépression d’Iena) survient peu après l’annonce d’une grossesse malencontreuse résultant de la première et peut-être unique expérience sexuelle du poète.

D’autres recherches modernes concernent la place du père dans la famille, la filiation, et surtout la triade mère-père-bébé, donc la dimension interactionnelle de la paternité, avec tous ses avatars et ses défaillances.

Le concept de dépression paternelle

Les états dépressifs du père constituent un nouvel intérêt pour la recherche sur la période périnatale. Ils sont étudiés concurremment à la dépression maternelle. Il y a peu d’études jusqu’à présent concernant leur prévalence pendant la période prénatale. Les données épidémiologiques se réfèrent seulement à la prévalence des patients dépressifs repérés en clinique psychiatrique ou aux conjoints des jeunes mères qui succombent à la dépression post-natale.

La « dépression paternelle » est un terme peut-être surprenant et reste encore un néologisme dans la littérature psychanalytique et psychiatrique de la périnatalité. Les nuances des états dépressifs des pères, comme la clinique le montre, vont de la réaction névrotique jusqu’à la mélancolie, passant par des états de désespoir, de détresse, d’effondrement narcissique. Bien différents, et sans symétrie avec les dépressions maternelles post-natales, les états dépressifs du père, et leur spécificité restent encore à clarifier

La question qui nous semble essentielle est la suivante : existe-t il un lien autre que chronologique dans leur survenue à la période périnatale ? Quelle valeur est spécifiquement « paternelle » dans cette dépression masculine ?

Notre réflexion théorique soulève trois hypothèses principales :

a) La naissance du bébé peut constituer pour le père un traumatisme psychique qui déclenche une décompensation vers un état dépressif précoce, avec réactivation d’angoisses et de conflits archaïques et œdipiens, avec troubles identificatoires et de l’identité sexuelle, régression vers les états oraux et anaux du développement psycho-sexuel.

b) Les états dépressifs du père sont caractérisés par la relation conflictuelle ambivalente du père actuel non seulement avec son propre père (registre œdipien), mais aussi avec sa mère (registre archaïque). La dépression peut être envisagée comme un mécanisme de défense du Moi contre un effondrement psychotique.

c) La dépression paternelle peut traduire la trace d’un « fantôme », d’un « visiteur du moi » encore vivant dans l’inconscient du père, transmission psychique inconsciente d’une absence psychique ou physique.

Le père dans les relations précoces

Selon Freud (19), on ne peut pas ignorer l’importance de la présence du père dans la vie de son enfant. : « De toutes les imagos d’une enfance dont, en général, on ne se souvient plus, aucune n’est plus importante pour un jeune ou pour un homme que celle de son père. La contrainte organique introduit dans la relation entre un homme et son père une ambivalence émotionnelle dont nous trouvons l’expression la plus frappante dans le mythe grec du roi Œdipe ».

La relation de l’enfant avec le père, aimé et redouté à la fois, se fonde sur le mécanisme de l’identification qui survient pendant le déclin du complexe d’Œdipe. Cette période marque la différence sexuelle, l’accès à l’identité personnelle, en passant par le complexe paternel et le complexe de castration. Par l’angoisse de castration, donc par la conservation de la masculinité, s’opère le renoncement à la mère et l’élimination du père rival. Mais, compte tenu de la constitution bisexuelle du psychisme, ce renoncement comporte un risque de féminisation – se retrouver du côté de la mère comme objet d’amour du père. C’est la crainte de la castration qui fait céder cette ambivalence émotionnelle : la haine du père cède devant un danger extérieur (la castration), le sentiment amoureux envers le père est donc traité comme un danger pulsionnel interne. La castration par le père s’avère terrible, « tant comme punition que comme prix d’amour ».

Il ne s’agit pas seulement de s’identifier au père, mais de s’identifier au modèle tel que le fils le perçoit, un « être-comme ». Le père introduit dans l’être psychique cette dimension et, avec elle, le contenu ambivalent qui signe le rapport œdipien (masculin). Là où se manifeste ce mélange spécifique de sentiments tendres et haineux, on peut détecter le père œdipien. Autant qu’objet-cible d’ambivalence, le père est ce qui permet au sujet de nouer ces deux courants affectifs et d’assumer son être contradictoire. Le père dans la théorie freudienne est aussi celui qui fait trace dans les organisations sociales, les limitations morales et la religion. Le caractère régressif de la religion aux yeux de Freud (21) rend compte de cette nostalgie du père, réveillée par la détresse initiale de l’être humain.

D. W. Winnicott (42) est l’un des premiers psychanalystes qui, dans son œuvre sur la relation précoce mère-enfant, a bien souligné l’importance du père au début de la vie psychique du bébé. Dans le chapitre « L’effet des parents psychotiques sur le développement affectif de leur enfant », et surtout dans L’enfant et sa famille (43), Winnicott affirme que le père doit être présent et fort, il doit soutenir la dyade mère-bébé, « il rend humain quelque chose dans la mère », il doit se substituer à elle quand elle est absente, il doit être réel et vivant pour que l’enfant se sente réel et vivant lui aussi. Nous retenons surtout l’importance accordée par Winnicott à la présence psychique du père dès les premiers mois de l’enfant.

On peut mentionner aussi la fonction d’object-presenting décrite par Winnicott, qui modélise par définition l’introduction d’un tiers entre la mère et son enfant. L’objet présenté permet de fléchir et de filtrer les motions pulsionnelles de la mère (tant agressives que libidinales) qui pourraient affecter le bébé, et la manière de présenter l’objet permet à la mère de réguler et de canaliser l’excitation issue de la réalité extérieure. Cette fonction d’object-presenting s’inscrit donc comme élément du système pare-excitation entre la mère et l’enfant et elle concourt à l’instauration d’une triangulation : mère-enfant-monde externe (père).

Les recherches actuelles sur la paternité, surtout celles de Serge Lebovici et de son équipe (33), mais aussi les nombreuses études psychiatriques, psychosomatiques, et de psychothérapies familiales ou parents-enfants envisagent la paternité dans sa dimension intrapsychique, et aussi intersubjective (32). Les différents concepts de constellation paternelle, de transmission transgénérationnelle (TTG), de géno-gramme psychique, les notions de nid triadique, de triadification et de triangulation (comportementale et intrapsychique) (Fivaz et coll., 14), insistent tous sur l’importance des conflits parentaux vécus par l’homme avec ses propres parents et le transfert de ces conflits sur l’enfant à venir. En outre certaines identifications inconscientes d’une génération à l’autre peuvent dessiner le contour énigmatique et inquiétant d’un tiers absent, et donc l’importance du négatif dans la TTG.

Diverses études et recherches sur la paternité (Pederson et Zaslow (44), Zilboorg (45), Ferketich (13), Cramer & Palacio-Espasa (8), M Bydlowski et Leblond (5), sont centrées sur la psychopathologie paternelle et sa complexité, et sur les difficultés de sa recherche clinique dans les Maternités.

Très intéressantes sont les nouvelles recherches sur les interactions triadiques précoces (14), sur le schéma d’être à trois (ou « le père dans la triade » (15, 9) qui montrent déjà de nouvelles perspectives sur les vécus psychiques du père dans la périnatalité, sur les interactions précoces père-bébé et leurs défaillances. D’autres études, enfin se penchent directement sur « la dépression paternelle » (Hangsleben (27), Morse (36), Matthey et Barnette (34).

Capacité dépressive, dépression et « dépression paternelle »

Dans les textes freudiens, la dépression (même si Freud ne l’a pas désignée comme telle) est toujours en relation avec la perte de l’objet, le deuil et la mélancolie, sous l’angle de la pulsion de mort. On retrouve surtout le rôle des instances psychiques (Surmoi, Idéal du moi), du refoulement, de l’agressivité, du déni, de la régression libidinale, et l’importance de l’oralité dans les mécanismes dépressifs.

Par contre, selon Karl Abraham (1), « la dépression est répandue dans toutes les formes de névrose et de psychose ». L’essentiel dans les états dépressifs graves est le renoncement au but sexuel, l’incapacité d’aimer et d’être aimé, la tendance permanente à nier la vie. Abraham souligne l’ambivalence marquée de la vie pulsionnelle globale, le déséquilibre entre les pulsions amoureuses et haineuses, entre les aspirations homo et hétérosexuelles. C’est la rupture des relations objectales qui inaugure la maladie dépressive. Comme Freud, il note que l’agression sadique-anale se retrouve dans la dépression, mais selon lui, plus importante est l’agression orale, primitive (introjection de l’objet par l’incorporation et non par l’identification), et la perte de l’investissement positif qui conduit au renoncement à l’objet.

Mélanie Klein, dans sa description de la position dépressive comme étape normale dans le développement psycho-sexuel de l’enfant, montre que l’échec de son élaboration entraîne l’évolution vers la pathologie. L’état dépressif est ainsi « un alliage spécifique d’angoisse, de sentiments de détresse et de défenses diverses » (30, 31).

Après les classiques, H. Rosenfeld souligne que l’ambivalence, l’hostilité, l’érotisme et le sadisme oraux sont à l’origine de la dépression. Nacht et Racamier (37) ont décrit la réaction du dépressif devant une déception minimale (la relation frustation-haine-culpabilité-auto-agression). Dans la même ligne, F. Pasche (38) parle du rôle de l’angoisse de mort dans la dépression et de la mégalomanie pour ne pas reconnaître la filiation.

Plus récemment, Bergeret (34) souligne surtout le versant narcissique de la dépression (perte de soi-même, deuil de soi-même). Et pour Paul Denis le « mal-être dépressif est une façon de survivre à sa propre désorganisation ».

Les travaux actuels mettent la dépression en relation avec des événements de vie traumatiques. Daniel Widlöcher (41), dans une perspective pluridimensionnelle des « logiques de la dépression », présente une description des principaux signes cliniques : tristesse vitale, nostalgie, remords, anesthésie affective. Mais au-delà des classifications, Widlöcher considère que la dépression est « un état moral des plus humains ».

A cette idée se rallie Pierre Fédida (12) pour qui « la dépression prend l’aspect violent de l’anéantissement du vivant humain ». En décrivant « la capacité dépressive » inhérente à tout être humain, Fédida s’apparente à la position dépressive de Klein, mais, selon lui, la « capacité dépressive » concerne plutôt l’expérience de la perte et la transformation du vécu intérieur. La dépression fait éclater cette capacité dépressive et représente un rapport avec la mort ou avec un mort à l’intérieur de soi-même.

Perspective théorique sur « la dépression paternelle »

Dans tous ses aspects, la « dépression paternelle » demeure un néologisme, même si depuis une dizaine d’années elle est étudiée dans différents pays. Ajoutons qu’il n’y a aucune symétrie avec la dépression maternelle : ni par la fréquence (la paternelle est plus rare et parfois elle est une identification hystérique de l’homme avec la dépression post-natale de sa compagne), ni dans l’interaction (étant donné le lien corporel et fortement narcissique mère-bébé et le rôle plus distant du père), ni par la psychogenèse et les registres psychiques concernés (la dépression paternelle semble corrélée plutôt à la constellation œdipienne du nouveau père alors que la dépression maternelle renvoie davantage à l’axe narcissique de la jeune femme).

Les pères qui ne peuvent pas ou qui ne veulent pas un (autre) enfant, et pour lesquels la conception et la naissance d’un garçon ou d’une fille ont accéléré en eux la représentation de leur vieillissement et de leur mort, s’effondrent souvent dans des états mélancoliques.

L’homme déprimé qui perd sa puissance sexuelle, surtout après la conception ou la naissance de l’enfant, ne dispose plus de la libido pour aimer, agir, penser, parler, voir, entendre, rêver. L’impuissance psycho-sexuelle signifie que l’homme devenant père, en son entier ne peut plus s’ériger et le sentiment de dévalorisation de soi renforce cette idée qu’il n’est plus possible d’entreprendre. L’état déprimé est souvent décrit comme perte de désir et de désirabilité — une véritable détumescence affectant toute la vie psychique. « L’être déprimé est un enfant écrasé par un père tout-puissant » affirmait Pierre Fédida, en soulignant ainsi « la transmission psychique inconsciente » de la dépression dans la filiation paternelle.

La souffrance dépressive entretenue, voire aggravée par des plaintes, par des reproches incessants, éprouve le psychisme et représente une expérience quotidienne de mortification. Il est sans doute juste de tenir les états déprimés pour des états d’affect archaïques dont le vécu corporel est primordial. Dans chaque cas de dépression, on trouve l’expérience d’un lien particulièrement éprouvant (perte, abandon, mais aussi fusion annihilante, identification primitive au psychisme de la mère, etc.) et l’incapacité de vivre sans l’amour de l’autre.

Au-delà de la difficulté tant nosologique que clinique, nous envisageons les états dépressifs du père en période périnatale selon diverses perspectives :

1. La paternité comme « événement de vie » traumatisant et la dépression comme une défense contre « le collapsus psychique » (29) : on peut parler de cette dimension traumatique dans la mesure où la naissance d’un enfant réactive dans la psyché paternelle un traumatisme précoce, une situation de danger et d’angoisse, une désorganisation traumatique subie dans sa propre enfance, voire dans l’intergéné -rationnel. Car si la naissance est un événement biologique, elle est aussi la naissance de la psyché en l’enfant et la naissance de la représentation de la psyché infantile dans la psyché paternelle. D’autre part, comme nous l’avons souligné (6, 7), la naissance de l’enfant est beaucoup plus traumatique pour le père quand il assiste à l’accouchement : juste avant la phase d’expulsion, le père peut avoir la représentation d’une femme munie réellement et transitoirement d’un pénis, d’une mère toute-puissante.

2. La spécificité des états dépressifs paternels : les versants masochique et narcissique-limite sont représentés.

Sur le versant masochique, le futur père est renvoyé à des fantasmes originaires et de scène primitive; on retrouve le rôle du Surmoi cruel et du sentiment de culpabilité, l’agressivité et l’ambivalence, les remords et les reproches dépressifs, l’importance de la relation œdipienne père-fils, mais aussi les micro-deuils et les micro-dépressions pour le self (26).

Sur le versant narcissique limite (4), la perte d’objet est vécue comme hémorragie narcissique, l’Idéal du Moi est tyrannique; l’angoisse de perdre l’objet et la dépression viennent comme défense contre l’éclatement mélancolique du Moi. Tout se passe comme si une part suffisante de l’Idéal du Moi n’arrivait pas à se projeter sur un objet qui est alors considéré comme perdu pour les pulsions et pour le Moi. Apparaît alors le vide. Les racines de la dépression sont posées.

3. La dimension interactionnelle : la paternité se situe entre « le pas de deux » et « le pas de trois ».

L’alliance émotionnelle et interactionnelle entre le père et l’enfant, « le schéma d’être à trois », le père comme tiers réel qui contextualise la dyade mère-bébé (15, 32) sont les aspects essentiels de cette dimension. Le père dépressif n’a pas d’espace, il n’ouvre pas de place pour son enfant dans ses représentations mentales, dans ses interactions psychiques ; il reste figé, dans un « pas de deux » sur le modèle de la symbiose archaïque avec sa propre mère, quand il était enfant, ou plus gravement dans « un être tout seul ». L’incapacité du père dépressif d’accéder à une triangulation imaginaire et interactionnelle trouve ses racines dans « la constellation paternelle » : ensemble des représentations, des affects, des conflits, des désirs meurtriers qui sont transférés sur l’enfant. Les difficultés de son fonctionnement psychique en triade explique sa difficulté à intégrer le bébé dans sa filiation, dans son histoire.

4. La dimension transgénérationnelle : à savoir la dépression paternelle et sa transmission psychique (les concepts de « fantôme dans la chambre d’enfant » (16), « rupture dans la filiation et de mandat TTG » (9), de « crypte » (2), de « visiteurs du moi » (35), de « télescopage des générations » (11) donnent une perspective complexe à la dépression paternelle.

On peut admettre que le père qui s’effondre dans la dépression (voire dans la mélancolie) ressent « les fantômes » dans son âme, car le bébé renvoie à des imagos qui ont hanté son histoire familiale, parfois pendant des générations. Inconsciemment, pour le père déprimé, son bébé représente un proche, soit mort, soit disparu, soit endeuillé, et non pas son enfant. La dépression s’installe pour protéger le moi contre cet « autre-en-soi » si mortifère et si aliénant. Les secrets ou les « mandats » transmis d’une génération à l’autre sont transférés à présent sur un bébé neuf, empêchant l’accès du jeune père à sa paternité.

Conclusion

Les caractères concrets de la grossesse et de la naissance pour l’homme qui les vit auprès de sa compagne au quotidien, démentent en permanence ce fantasme de toute-puissance masculine de création solitaire de l’enfant et réaffirment de façon réitérée la nécessité d’en passer par une femme pour que la vie advienne. L’ensemble interactionnel dans lequel s’inscrit le remaniement du psychisme paternel a une dynamique qui s’opère toujours autour de la dyade mère-bébé. Mais le vide dépressif paternel et ses racines peuvent constituer une menace pour le développement psychique ultérieur de l’enfant.

Les pères dépressifs après la naissance de leur enfant ne peuvent pas assumer leur paternité, ni dans le registre intrapsychique, ni dans le registre interactionnel et intergénérationnel. Pourtant, en reprenant l’aphorisme de Winnicott, « un bébé, cela n’existe pas », nous dirons que l’enfant est d’emblée inscrit dans une structure triangulaire, au niveau de son organisation psychique et au niveau du mandat trans-générationnel qu’il reçoit de chacun de ses deux parents.

Références bibliographiques

  • 1 –  Abraham, K. (1965), Oeuvres Complètes, vol. 1, 2, Paris, Petite Bibliothèque Payot.
  • 2 –  Abraham, N. et Torok, M. (1987), L’écorce et le noyau, Paris, Flammarion.
  • 3 –  Bergeret J. (1992), La dépression et les états limites, Paris, Payot.
  • 4 –  Bergeret J. (1995), Freud, la violence et la dépression, Paris, PUF
  • 5 –  Bydlowski M., Levy-Leblond E. (1982), « La paternité à l’épreuve de la première année », in Publication INED, pag. 139
  • 6 –  Bydlowski M. (1997), La dette de vie. Itinéraire psychanalytique de la maternité, Paris, PUF.
  • 7 –  Bydlowski, M. (2000), Je rêve un enfant. L’expérience intérieure de la maternité, Paris, Odile Jacob.
  • 8 –  Cramer, B., Palacio-Espasa, F. (1993), La pratique des psychothérapies mère-bébé, Paris, PUF.
  • 9 –  Cupa, D., Deschamps, H., Michel, F., Lebovici, S. (2000), « La constellation paternelle pendant la grossesse », in M. Maury, M. Lamour (Eds), Alliances autour du bébé, Paris, PUF, 75-100.
  • 10 –  Ebtinger R., (1978), « Aspects psychopathologiques de la paternité » (Oedipe-Père), inConfrontation Psychiatriques, 16, 149-189.
  • 11 –  Faimberg H. (1987), « Le télescopage des générations. A propos de la généalogie des certaines identifications », in Psychanalyse à l’Université, 12, 46, 181-200.
  • 12 –  Fédida P., (2001), Les bienfaits de la dépression, Paris, Odile Jacob.
  • 13 –  Ferketich M. (1989), « Men’s health status during pregnancy and early fatherhood », in Res. Nurs. Health, janvier, no. 12.
  • 14 –  Fivaz-Depeursinge E., Corboz-Warnery A. (1999), The primary triangle, Basic Behavioral Science, Basic Works.
  • 15 –  Fivaz-Depeursinge E. (2000), « Le bébé et la triangulation », in M. Maury, M. Lamour (Eds), Alliances autour du bébé, Paris, PUF, 63-74.
  • 16 –  Fraiberg S., Adelson E., Shapiro V. (1983), « Fantômes dans la chambre d’enfants », in Psychiatrie de l’enfant, XXIV, 1.
  • 17 –  Freud S. (1905), Trois essais sur la théorie sexuelle, Paris, Gallimard, 1987.
  • 18 –  Freud S. (1912/13), Totem et tabou, Paris, Petite bibliothèque Payot, 1998.
  • 19 –  Freud S., (1914), « Pour introduire le narcissisme », in La vie sexuelle, Paris, PUF, 1973
  • 20 –  Freud S. (1915/17), « Deuil et mélancolie », in Métapsychologie, Paris, Gallimard, 1968.
  • 21 –  Freud S. (1921), « Psychologie collective et analyse du Moi », in Essais de psychanalyse, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1998.
  • 22 –  Freud S. (1923), « L’organisation génitale infantile », in La vie sexuelle, Paris, PUF, 1973.
  • 23 –  Freud S. (1923), « La disparition du complexe d’Oedipe », in La vie sexuelle, Paris, PUF, 1973
  • 24 –  Freud S. (1926), Inhibition, symptôme et angoisse, Paris, PUF, 1999.
  • 25 –  Freud S. (1939), L’Homme Moïse et la religion monothéiste, Paris, Gallimard, 1986.
  • 26 –  Grinberg L. (1992), Culpabilité et dépression, Paris, Les Belles Lettres
  • 27 –  Hangsleben K. L. et al. (1983), « Transition to fatherhood. An exploratory study », in J.O.G.N., 12, 265-270.
  • 28 –  Haynal A. (1968), « Le syndrome de couvade : contribution à la psychologie et psychopathologie de l’homme en face de la reproduction », in Ann. Medico. Psychol., 4, 539-571.
  • 29 –  Janin C. (1996), Figures et destins du traumatisme, Paris, PUF.
  • 30 –  Klein M. (1928), « Les stades précoces du conflit oedipien », in Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1997.
  • 31 –  Klein M. (1940), « Le deuil et ses rapports avec les états maniaco-dépressifs », in : Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1997.
  • 32 –  Lamour, M., Davidson, C., Lebovici, S. (2000), « Le père dans la triade père-mère-bébé » In : M. Maury, M. Lamour (Eds), Alliances autour du bébé, Paris, PUF, 101-118.
  • 33 –  Lebovici S., Stoleru S. (1983), Le nourrisson, la mère et le psychanalyste. Les interactions précoces, Paris, Le Centurion, Paidos.
  • 34 –  Matthey S., Barnett B. et al. (2000), Paternal and maternal depressed mood during the transition to parenthood, J. of Affect. Disord., nov.
  • 35 –  Mijolla (de) A. (1996), Les visiteurs du Moi. Fantasmes d’identification, Paris, Les belles lettres.
  • 36 –  Morse C. A., Buist A. (2000), « First time parenthood : influence on pre and postnatal adjustement in fathers and mothers », in Journ. Psychos. Obs. Gynecol., June, 21.
  • 37 –  Nacht S., Racamier P. C. (1959), « Les états dépressifs, étude psychanalytique », in Rev. Fr. Psychan., XXIII, 5, 567-607.
  • 38 –  Pasche F. (1969), « De la dépression », in A partir de Freud, Paris, Payot, 181-200.
  • 39 –  Trethowan, W.H., Conlon, M.F. (1965), Couvade syndrome, Br. J. Psychiatry, 3, 470.
  • 40 –  Wainwright W. H. (1966), « Fatherhood as a precipitant of mental illness », in Am. J. Psychiatry, 1123, 1, 40-44
  • 41 –  Widlöcher D. (1995), Les logiques de la dépression, Paris, Fayard.
  • 42 –  Winnicott D. W. (1961), « L’effet des parents psychotiques sur le développement affectif de leur enfant », in De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris, Petite bibliothèque Payot.
  • 43 –  Winnicott D. W. (1957), L’enfant et sa famille, Paris, Payot.
  • 44 –  Zaslow M. J., Pederson F. A., et al. (1984), « Depressed mood in new fathers : associations with parent-infant interaction », in Genetic, Social and General Psychology Monographs, 11, 2, 133-150.
  • 45 –  Zilboorg, G. (1931), « Depressive reaction related to fatherhood », in Am. J. Psychiatry, 10, 927-962.