Une garde alternée ?

 Déclaration de la Waimh francophone sur la résidence alternée

Lundi 1octobre 2012

Alors que la résidence alternée fait l’objet de débats passionnels dans la société actuelle et qu’elle concerne un nombre croissant de jeunes enfants, il est temps de prendre une position visant à protéger le développement de l’enfant.
La Waimh francophone a vocation à donner un avis en ce qui concerne les bébés et les jeunes enfants. C’est à ce titre que sa position est précisée dans le texte qui suit.

Il faut souligner le consensus des publications qui s’accordent sur le fait que la résidence alternée est déconseillée en cas de conflit parental important, quel que soit l’âge de l’enfant.

Calendrier de Brazelton

Une première version aménagée de ce calendrier a été présentée par M. Berger, A. Ciccone, N. Guedeney, H. Rottman en 2004. L’expérience quotidienne et la prise en compte de recherches récentes (McIntosch J., 2011) ont fait apparaître la nécessité d’y apporter quelques aménagements en 2012 (M. Berger).
Comment proposer un dispositif qui permette à un enfant de bénéficier le plus souvent possible de la présence de son père, et réciproquement, sans créer une discontinuité préjudiciable dans sa relation avec sa mère ? Il est évident que cette question ne se pose que si le père et la mère ont tous deux des capacités éducatives suffisantes. Si la mère présente des troubles de la personnalité importants qui envahissent sa relation avec son enfant (dépression grave, délire, toxicomanie, etc.), et que le père en est indemne, l’hébergement principal devrait être confié à ce dernier. Nous proposons d’encadrer le rythme des contacts sous la forme d’un droit d’hébergement évolutif de la manière suivante.
Utilisation d’un calendrier
Il est particulièrement destiné aux situations de non entente parentale, et vise à répondre à un principe de précaution concernant le développement de l’enfant. Ce calendrier qui s’inspire directement des travaux de Brazelton et Greenspan, deux chercheurs et cliniciens mondialement connus pour leurs travaux sur le développement psychologique du petit enfant, prend comme hypothèse la situation la plus fréquente où la mère est responsable des premiers soins. Il serait à inverser si c’est le père qui a dû assumer cette tâche du fait d’une incapacité psychologique de la mère. Ce calendrier serait à assouplir en fonction de l’éventuelle non-conflictualité du couple, de la capacité de l’enfant de supporter le changement, de l’investissement du père dans les premiers soins, et de la manière dont il s’est occupé seul de l’enfant la nuit du fait, par exemple, des obligations professionnelles de l’épouse. C’est la raison pour laquelle les auteurs indiquent qu’ « aucun modèle ne peut convenir à toutes les familles ». Il est à souligner que ce calendrier introduit une contrainte importante pour la mère qui ne peut pas prendre de longues vacances afin de ne pas priver son enfant de la présence de son père.

De 0 à 2 ans

C’est la période la plus complexe car les besoins de sécurité et de stabilité d’un nourrisson ne sont pas les mêmes à 2 mois, 8 mois, 12 mois. Aussi avons-nous introduit des nuances dans cette période par rapport au calendrier initial de Brazelton. De plus, l’allaitement éventuellement en cours limite les possibilités d’éloignement du domicile maternel. Il se pose aussi la question de la distance entre les domiciles des parents s’ils sont éloignés. Il faut dire clairement que notre société n’a pas été capable de regarder en face ce problème qui est de plus en plus fréquent, et d’y proposer des solutions adaptées.
L’enfant pourrait rencontrer son père deux à trois fois par semaine sans passer la nuit chez lui, pour une durée de deux ou trois heures deux fois par semaine jusqu’à l’âge de six mois, puis trois fois trois heures. Deux de ces demi-journées seraient éventuellement regroupables sur une journée à l’approche des douze mois. Le problème est celui du lieu en cas d’éloignement du domicile : il faut trouver un tiers non impliqué dans le conflit s’il existe une mésentente à propos de l’hébergement : chez un grand-parent, un ami commun, chez la nourrice. On pourrait proposer que dans le futur, ceci puisse avoir lieu à la crèche dans un local aménagé de manière légale.

De 2 à 4 ans

À partir de deux ans et à condition que l’enfant soit bien familiarisé avec le foyer paternel, on pourrait ajouter à ces deux ou trois demi-journées une nuit dans la semaine, sans que la séparation d’avec la mère dépasse un jour et demi.

De 4 à 6 ans

L’hébergement pourrait se faire chez le père sous la forme d’un weekend de deux jours deux nuits tous les quinze jours, et d’une journée une semaine sur deux de manière à ce que l’enfant rencontre son père toutes les semaines. Cette « journée » peut prendre la forme d’un déjeuner ou d’un repas du soir, l’enfant revenant coucher chez sa mère.
À ce propos, il faut souligner qu’une nuit du mardi au mercredi toutes les semaines morcelle trop la vie de l’enfant, et que ce n’est pas pendant la nuit qu’un père crée des liens avec son enfant, mais en partageant des activités et des moments de discussion avec lui.
À cela s’ajoute la moitié des vacances scolaires, sans dépasser une durée de quinze jours consécutifs chez le père à condition de maintenir des contacts suffisants et non intrusifs avec l’autre parent et réciproquement.
Ce calendrier est utilisé en cas de conflit conjugal important par plusieurs tribunaux américains (King County Family Court Services, 1989 ; Spokane County Superior Court, 1996).

Un assouplissement du calendrier

Il peut être réalisé si les deux parents font une démarche conjointe, ce qui les pousserait à une coparentalité la moins conflictuelle possible. Dans ce cas, il serait intéressant qu’un spécialiste de la petite enfance compétent en matière de séparation parentale (psychologue ou psychiatre) évalue la relation père-enfant et mère-enfant en recevant chaque parent avec son enfant. Ce spécialiste devrait réévaluer la situation à intervalles réguliers afin de constater l’adéquation du mode de garde avec le développement psychoaffectif de l’enfant. Ceci nécessiterait la création d’un diplôme inter-universitaire (DIU) « Évaluation et suivi des situations de séparation dans le divorce concernant la petite enfance », ce qui paraît nécessaire étant donnée la fréquence des séparations parentales actuellement. Il serait nécessaire que les praticiens diplômés soient obligés de suivre ensuite une formation permanente annuelle.

Á l’origine la résidence alternée était prévue pour une meilleure prise en charge des adolescents par leurs pères dans un contexte sociologique où l’égalité des droits et l’équivalence père-mère étaient alors confondues.

Par la suite, sous l’apparente générosité de l’égalité des droits sur l’enfant, l’application de la loi de Mars 2002 a été étendue à tous les enfants quel que soit leur âge et sans référence prioritaire à leurs besoins fondamentaux ni à la dynamique de leur développement. Or, cette extension a des conséquences délétères sur leur état psychique qui est souvent négligé derrière ces propositions générales.

En effet, le bébé et le jeune enfant ont des besoins spécifiques de continuité et de cohérence qui ne sont pas réductibles à un simple partage temporel, sous peine de nuire gravement au développement et à la genèse du lien réciproque qui se tisse de façon différenciée entre l’enfant, sa mère et son père, et ceci, dès la grossesse.
Cette analyse est sous-tendue par des données issues de différentes références : psychanalyse, éthologie, théorie de l’attachement, neurosciences…
De l’ensemble de ces éléments scientifiques, il ressort actuellement les points fondamentaux suivants :
– les liens de l’enfant à la mère et au père sont qualitativement différents et résolument complémentaires ;
– l’enfant a besoin pour un développement sain et optimal, d’une relation stable et continue, source de sécurité, avec une figure principale de référence, laquelle s’instaure
– la question de la limite d’âge et, surtout, du niveau de développement psychoaffectif de l’enfant est un des éléments centraux de la réflexion sur cette question, préférentiellement avec la mère dans la continuité du lien prénatal, dans les conditions habituelles du développement ;
– le rôle du père au sein des interactions précoces est primordial car il propose un mode de relation spécifique, profitable aux différents protagonistes : à l’enfant, dans son ouverture à la diversité, et au père lui-même, dans la construction de sa paternalité ;
– le père peut tenir le rôle de référence principale si les capacités psychologiques et relationnelles de la mère sont défaillantes, et s’il est apte à jouer ce rôle ;
– et enfin, la distinction entre le rôle du père et le rôle de la mère ne signifie pas que l’enfant en aime ou en aimera l’un moins que l’autre.

En cas de séparation, plusieurs types de situations peuvent se présenter.

Une première situation dans laquelle, malgré leur séparation, les parents s’entendent suffisamment bien pour coopérer de façon rapprochée et synchroniser les habitudes routinières de leur enfant.
Même dans ce cas, il importe de veiller à ce que le mode d’hébergement choisi par eux respecte la continuité de la relation de l’enfant à sa figure de référence principale. Si celle-ci est représentée par la mère, comme dans la majorité des cas, l’accès du père à l’enfant doit être préservé selon un rythme et une durée appropriée. Prendre en compte le rôle de figure principale de référence demande au père une générosité incontournable.
Les problèmes ne sont pas les mêmes dans la première, deuxième et troisième année de vie, d’où l’intérêt de se référer au calendrier de Brazelton, modifié par M. Berger et J. Phélip (annexe 1). Par exemple, dans cette perspective, jusqu’à l’âge de deux ans au moins, les hébergements de nuit, autres que ponctuels, sont à proscrire car ils sont source de troubles psychiques ou psychosomatiques, éventuellement durables, chez l’enfant.
Les recherches s’accordent à dire que pour les enfants petits, la résidence alternée n’est pas recommandée même en cas d’accord entre les parents.
Une seconde situation est plus fréquente : les parents sont en conflit. Dans ce cas, sous le fallacieux prétexte de l’égalité des droits, l’enfant est littéralement pris en otage dans la guerre que se livrent ses parents par son intermédiaire. Les signes de souffrance psychique (sentiments d’insécurité, angoisses d’abandon, troubles du sommeil, regard vide, agressivité, sidération, gel émotionnel, retrait relationnel) sont majorés, en raison de la conflictualité à laquelle il assiste et se trouve mêlé.
Dans les cas de conflit chronique entre les parents, là encore le calendrier de Brazelton revu par M. Berger (2012) doit être utilisé en tenant compte de l’âge de l’enfant.

 Devant l’ensemble de ces situations, il est nécessaire de défendre les positions suivantes :
– la loi de 2002 doit être amendée, comme elle l’a été en Suède, au Danemark, et en Californie, pour y intégrer à titre de principes minimaux de précaution, l’âge, le développement psychoaffectif de l’enfant, et le conflit parental comme des éléments déterminants à prendre en compte dans toute décision portant sur la garde d’un enfant. La philosophie proposée aux juges appelés à prendre ces décisions découle de l’importance du besoin de stabilité de l’enfant, d’autant plus vitale qu’il est petit. L. Gauthier déclare que « la loi doit se mettre à l’horloge psychique de l’enfant ». Il faut rappeler que l’autorité parentale est un droit-fonction qui se définit par ses fins, en particulier permettre le développement de l’enfant dans le respect dû à sa personne (article 371-1 du Code civil), et non par ses moyens ;
– l’utilisation du concept de « syndrome d’aliénation parentale » ne peut jamais servir de motif fondamental pour justifier la mise en place d’une résidence alternée. Rappelons ici que ce concept ne présente aucun des critères permettant de le définir de manière scientifique. Á ce titre, son inscription au DSM V a été refusée par la communauté scientifique internationale ;
– il est nécessaire de créer un diplôme inter-universitaire (DIU) et interdisciplinaires pour les professionnels confrontés aux situations de résidence alternée, accompagné d’une formation permanente annuelle ;
– il est crucial de mettre en œuvre et de soutenir des recherches-actions sur le terrain.

Pr Sylvain Missonnier et Pr Pierre Delion, co-présidents de la Waimh francophone.
Pr Bernard Golse, Past Président de la Waimh Francophone.
Le groupe de travail « Résidence alternée » de la WAIMH francophone coordonné par Anaïs Mechali, secrétaire scientifique.

Documents complémentaires
1) Textes de référence :
Australian Association for Infant Mental Health Inc. (AAIMHI) branche australienne de la WAIMH. Guideline : Infants and overnight care – post separation and divorce (2011). http://www.aaimhi.org/inewsfiles/AAIMHI_Guideline_1_-_Infants_and_overnight_care_post_separation_and_divorce.pdf
Berger M., Ciccone A., Guedeney N., Rottman H. (2004). La résidence alternée chez les enfants de moins de six ans : une situation à haut risque psychique. Devenir, 16, 3, 213-228.
Delion P. et Missonnier S., co-présidents : Communiqué de la WAIMH francophone sur la proposition de loi 2009 des députés Maille et Decool pour la résidence alternée par défaut, 19 mai 2009.
Delion P. et Missonnier S., co-présidents de la WAIMH francophone : Lettre adressée à l’ensemble des députés suite à la deuxième présentation du projet de loi pour la résidence alternée par défaut, par les députés Maillé, Decool, Delatte en septembre 2011.
Golse, B. (2011), La résidence alternée ou l’intérêt premier des adultes. Article dans Le Monde, 15 décembre 2011.
McIntosh J. (2011). Considérations particulières envers les nourrissons et les tout-petits lors de la séparation ou du divorce : questions développementales dans le contexte du droit de la famille. In Tremblay R.E. (dir.), Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants CEDJE (sur Internet)
http://www.enfant-encyclopedie.com/documents/McIntoshFRxp1.pdf
Phélip J., Berger M., (2012). Divorce, séparation : les enfants sont-ils protégés ? Paris : Dunod.
2) Annexe 1 Calendrier de Brazelton
Pages 243-246 de l’ouvrage de J. Phélip & M. Berger M., (2012, . Divorce, séparation : les enfants sont-ils protégés ? Paris : Dunod. Version actualisée en Septembre 2012.

http://www.yapaka.be/sites/yapaka.be/files/publication/ta-72-cover-gardealternee-frisch-desmarez-print.jpg

Dans la pratique quotidienne, de nombreux professionnels rencontrent des situations d’enfants dont les parents sont séparés.

Au gré des évolutions sociale et familiale, l’organisation de l’hébergement de l’enfant entre son père et sa mère a également connu des changements.

Ce livre propose d’envisager la question de la garde alternée à la lumière du développement de l’enfant. Age par âge, les besoins de l’enfant, notamment ses besoins de stabilité et de continuité sont étayés au travers de son attachement à ses figures parentales. Comment penser l’hébergement de l’enfant et les modalités de lien avec ses deux parents compte tenu de ses capacités psychiques et cognitives. D’autant que la clinique infanto- juvénile confronte les professionnels à des enfants en perte de structure, à des parents fragilisés dans leur fonction parentale. Des modalités trop rigides ou standardisées font l’impasse sur la diversité des situations et sur l’intérêt même de l’enfant.

Sommaire:

Changements socio-familiaux actuels
Principe de la résidence alternée
Application de la résidence alternée
En fonction de l’âge de l’enfant
En fonction des besoins spécifiques et du développement de l’enfant
En fonction du contexte familial et de la conflictualité parentale
Points de vue cliniques sur ce mode de garde
Vécu de l’enfant
Vécu des parents
Analyse des professionnels
Situations pathologiques
Réflexions générales autour d’une étude prospective australienne
Résidence alternée et syndrome d’aliénation parentale
Conclusion
Calendrier de Brazelton
Utilisation d’un calendrier
Un assouplissement du calendrier
Bibliographie