L’accouchement

 

Les contractions arrivent et avec elles, la douleur.

Pendant le travail de l’accouchement, la femme va découvrir des affects qui lui étaient jusque là inconnus. Face à l’intensité des contractions et le caractère exceptionnel du moment, elle va découvrir une partie de sa personnalité qu’elle ne connaissait pas, qu’elle n’avait jamais expérimenté : sa façon de réagir, de se comporter face à la situation. Elle va toucher du doigt ses propres forces, ses limites et connaître des émotions jamais expérimentées. Toutes ces découvertes peuvent être à l’origine de blessures narcissiques.

La femme n’est alors plus qu’une sensation de douleur, qui vont et viennent, par vagues et la submergent. Lors de douleurs très intenses, on peut assister à une certaine régression de la femme, un certain lâcher prise.

Dans le psychisme, l’accouchement est l’acte qui permet d’atteindre le statut de mère. Pour Marilène Vuille, la douleur a une fonction à ce niveau là. Elle va aider la femme à quitter la fille qu’elle était pour devenir une mère. Elle sert de pont entre deux états : celui de la grossesse où la mère et l’enfant «  font corps » et la naissance où la mère et l’enfant sont «  deux corps distincts ». Pour Hélène Deutsch, le message contenu dans la douleur serait «  cet enfant qui était et est encore Moi va devenir un Autre ».

Les deuils nécessaires ou le sens de la douleur

la femme qui accouche se “sépare”, se détache de son bébé, mais aussi de ses positionnements inconscients, nous dirons de ses acquis. Ainsi elle va devoir :

1) renoncer à la fusion, source de plaisir, et se séparer de son bébé/fœtus.

2) renoncer à l’enfant qu’elle était.

3) renoncer à l’état gratifiant de la grossesse (on s’occupe de moi).

4) renoncer à son couple tel qu’il était et le repositionner.

5) connaître la surprise désagréable de la force des contractions, alors qu’elle était en “attente” du bonheur d’être mère… Passer par l’angoisse de la distension vaginale, pendant la poussée, dans ce lieu intime jusqu’à présent réservé au “compagnon” et source de plaisir.

6) si cela n’a pas été travaillé, c’est-à-dire amener à la conscience et renoncer à l’enfant imaginaire (et merveilleux) pour accueillir l’enfant réel.

Si la douleur a un rôle dans le développement de l’instinct maternel, on ne peut pourtant pas lui en reconnaître l’entière responsabilité.

Toujours selon marie-hélène de Valors, il semblerait que l’accouchement puisse avoir une valeur pédagogique. En luttant contre la force des contractions, on lutte contre la douleur des deuils inconscients et nécessaires à faire pour devenir mère, d’où la sensation de force extraordinaire après un accouchement réussi, c’est à dire quand la mère est contente de la façon dont tout s’est déroulé. La force nécessaire pour pousser l’enfant, la rencontre avec l’au-delà de soi-même (le dépassement), la sensation intense du passage marquent à jamais dans la mémoire cellulaire la filiation à cet enfant là. C’est cela “la porte des Mères” : le détachement, qui permet l’attachement. C’est là aussi, je pense, le sens de l’accouchement.

 TÉMOIGNAGES

Il s’agit des “associations” que peuvent vivre les femmes pendant la poussée :

1) “…en poussant je pensais à mon père et à ma mère, au devenir mère difficile de ma sœur, au devenir père de mon frère”.

2) “…en poussant, j’ai su que j’allais crier, ça ferait du bien car petite, ma mère me disait : “tais toi, tu cries trop”!

3) “…en poussant, j’ai réalisé qu’en fait j’aurais voulu un garçon, et c’est cela qui m’empêchait de pousser. Alors il y a un hurlement qui est venu. Mon père, en tout cas le garçon que je voulais pour le remplacer, mourait aussi en moi. C’est en hurlant mes adieux à mon père et mon fils que j’ai pu pousser ma fille !… Ce cri me libérait, plus jamais je n’y penserais !… Quand j’ai eu Manon dans les bras , j’avais tout oublié” (le père est décédé un mois avant le début de la grossesse).

4) “…en poussant je me disais : je veux pas le lâcher ! qu’ils partent tous ! qu’on me laisse, au secours !… et puis la sage-femme a dit :

“- quand la tête du bébé sera sortie c’est vous qui attraperez les bras pensez-y “!

– mais j’ai plus de contractions !

– pensez y et elles reviendront ! … Je crois que c’est la mine que faisait mon mari qui m’a décidée ! il semblait déçu. Alors j’ai attrapé ses mains et les contractions sont revenues !… (jeune femme abandonnée par sa mère et attendant une fille).

5) “…en poussant j’ai regardé la pendule : il était exactement l’heure que ma mère me montrait le matin : “regarde, il est 8 H 15, déjeune, tu vas être en retard !”, j’ai été tellement surprise que j’ai arrêté de pousser… c’est le moment où il a pris les forceps “…. (anorexique, sa mère l’obligeait à manger).

A travers les récits des patientes, il faut souligner l’importance de se séparer volontairement et activement de son bébé/fœtus pour pouvoir passer de l’état d’enfant à celui de parent. Le corps garde la mémoire du passage, il y a vraiment conscientisation de la filiation à cet enfant-là !

Pour continuer à penser et panser la douleur

Accouchement et douleur etude sociologique de Vuille Marilene